La voix mixte : un mécanisme de poitrine adouci par des résonances de tête

Pourquoi employer la voix mixte en chant lyrique ?

On l’a vu dans un article précédent : le chant lyrique emploie principalement deux mécanismes d’émission du son : le mécanisme 1/de poitrine et le mécanisme 2/de tête. Pour une personne donnée, et pour simplifier, ces 2 mécanismes sont séparés par une note dite « de passage », au-dessus de laquelle un chanteur non entraîné est dans l’obligation de passer en mécanisme 2/de tête.

En variété, il est courant de chanter en mécanisme de poitrine, et de passer directement en mécanisme de tête sur une note aigüe.

L’esthétique lyrique préférera rendre la montée dans l’aigu, et donc le passage d’un mécanisme à l’autre, aussi progressifs que possible.

Une définition de la voix mixte

On prendra dans la suite de cet article l’exemple d’une voix masculine, dans laquelle le phénomène est plus marqué. Lorsqu’il monte dans l’aigu de sa voix, le chanteur lyrique, à l’approche du passage puis dans les quelques tons suivant son franchissement, modifie progressivement le positionnement des espaces de résonance du son, pour que le son résultant commence à ressembler à un mécanisme 2/de tête, tout en conservant un fonctionnement du larynx en mécanisme 1. En poursuivant sa montée, il finira par passer en mécanisme 2/de tête. Comme il accomplit souvent ce passage en profitant d’une interruption du son vocalique (consonne non voisée), on n’entendra pas de cassure du son, et la différence sera donc à peine perceptible.

Résumons les 3 étapes de la montée dans l’aigu d’une voix d’homme :

  • Mécanisme 1, résonances « de poitrine »
  • Autour du passage : mécanisme 1, de plus en plus de résonances de tête
  • Mécanisme 2, résonances « de tête »

C’est donc la seconde étape qui constitue la voix mixte, et qui fait intervenir le mécanisme 1 et des résonances « de tête ».

Pour aller plus loin

Il est à noter que, d’un.e chanteur.se.s et d’un.e professeur.e.s à l’autre, la définition, la pratique et la pédagogie de la voix mixte peuvent grandement varier.

Pour certain.e.s, et c’est la thèse présentée ici par souci de simplicité, la voix mixte est constituée du mécanisme laryngé 1, au-dessus duquel on modifie la forme des espaces de résonance.

Signalons que certain.e.s chanteur.se.s ont développé 2 voix mixtes :

  • L’une part du mécanisme 1 et tente d’imiter le son du mécanisme 2
  • L’autre part du mécanisme 2 et tente d’imiter le son du mécanisme 1

Sylvain LAMESCH a publié en 2006 une étude tentant de caractériser ces deux voix mixtes (voir la conclusion p. 57) chez deux chanteur.se.s. L’étude fait état de mesures qui semblent distinguer le mécanisme laryngé 2 d’un mécanisme laryngé mixte (proche et différent du mécanisme 2).

Au contraire, pour Richard Miller (Structure du chant, p. 163), la voix mixte constitue bien un mécanisme laryngé intermédiaire entre les mécanismes 1 et 2, consistant à commencer, avant le passage, un allongement des cordes vocales (tout en maintenant lesdites cordes en tension comme en mécanisme 1), préparant ainsi la transition vers le mécanisme 2.

Ces différentes descriptions de la voix mixte constituent un exemple de ce que la technique vocale lyrique n’est pas unique : elle diffère d’un.e chanteur.se et d’un.e professeur.e à l’autre, et évolue avec le temps. Ce constat plaide en faveur d’une ouverture d’esprit quant aux différentes techniques vocales et aux pédagogies correspondantes. Il éclaire également le défi que constitue le passage d’un.e professeur.e à l’autre, en ce que l’élève peut se voir enseigner des éléments de technique non compatibles avec sa pratique actuelle – ce qui ne peut qu’enrichir sa palette technique !

Brillant, métal, formant… Enrichir sa voix d’harmoniques aigües

On dit souvent d’une voix qu’elle est brillante, métallique… Ces termes décrivent une voix riche en harmoniques aigües.

Les harmoniques aigües enrichissent le timbre et rendent la voix plus audible. Elles permettent en outre à un chanteur lyrique d’être entendu distinctement d’un orchestre (en effet, quasiment aucun instrument n’est capable d’émettre lesdites harmoniques aigües à une telle puissance).

Entendre les harmoniques aigües d’une voix

Ecoutons d’abord cet extrait de La Sonnambula de Bellini, interprété par la grande basse Cesare Siepi :

Ecoutons maintenant le même extrait, après lui avoir appliqué un filtre ne laissant que les harmoniques aigües1 :

Avec ce filtre, la voix peut sembler fortement tronquée, et effectivement, on en a enlevé toute la partie grave (les harmoniques graves). On notera au passage que Cesare Siepi a beau avoir une voix grave, il émet aussi des harmoniques aigües. On dit qu’il a du « brillant », du « métal », dans la voix.

Un.e chanteur.euse lyrique cherche à émettre des harmoniques aigües, quelle que soit sa tessiture (de basse à soprane) et sur toutes les notes qu’il ou elle chante, y compris les notes graves.

Ecoutons enfin le même extrait, avec un filtre qui, au contraire, supprime les harmoniques aigües2 :

On reconnaît plus aisément la voix de Cesare Siepi ; elle sonne plus étouffée, comme dans du coton ; on ne peut plus la qualifier de « brillante » ou de « métallique ».

Je vous invite à réécouter le 2nd extrait (harmoniques aigües), puis à chercher à entendre ces harmoniques dans le 1er extrait, en vous aidant du 3ème (qui ne les contient pas). Cette formation de votre oreille vous aidera à repérer, à l’écoute, à quel point votre voix est riche en harmoniques aigües.

Les harmoniques aigües sont également appelées le « formant du chanteur« . Il s’agit, pour les plus physiciens des lecteurs, d’une plage de fréquence située aux alentours des 3000 Hz. Notons pour la petite histoire que les cris des bébés sont également riches en harmoniques aigües, ce qui explique qu’on les entende si bien ; à cet âge, elles sont situées aux alentours de 4000 Hz, et sont donc encore plus aigües que celles d’un.e chanteur.se.

Enrichir sa voix en harmoniques aigües

Pour un chanteur débutant, le premier moyen d’enrichir sa voix d’harmoniques, notamment aigües, consiste à accoler ses cordes vocales.

Cela étant acquis, un chanteur plus avancé pourra modifier le positionnement de son pharynx et de sa bouche pour amplifier les harmoniques aigües. D’après David Jones1, il convient d’écarter latéralement les piliers du voile du palais, situés de part et d’autre de la luette (merci Doctissimo pour l’illustration !) :

cavite-buccale

Vous pouvez tester les mouvements de l’arrière de la bouche devant un miroir, et les déclencher en amorçant un bâillement, ou en imaginant par exemple que vous laissez à l’arrière de la bouche (sous et en arrière du voile du palais) suffisamment d’espace pour une balle de golf.

Une autre façon de parvenir à un positionnement de l’arrière de la bouche qui enrichit le timbre en harmoniques aigües est d’expirer un peu d’air chaud comme si vous cherchiez à faire de la buée sur une vitre ou sur des lunettes. Vous pouvez vérifier avec votre main que l’air sort de façon uniformément chaude.

Bonne exploration !

1 Pour les passionnés de traitement du signal, j’ai appliqué un filtre passe-haut avec une fréquence de coupure de 2000 Hz et un gain de -48 dB par octave, à l’aide de l’effet High Pass Filter du logiciel Audacity.

2 J’ai appliqué un filtre passe-bas avec une fréquence de coupure de 1500 Hz et un gain de -48 dB par octave, à l’aide de l’effet Low Pass Filter du même logiciel.

3 Excellent professeur de chant new-yorkais, dont je recommande aux anglophones la page Facebook, riche en conseils de technique vocale avancée. Je profite de l’occasion pour le remercier pour ses contributions de qualité !

L’ouverture de la bouche

Comme beaucoup de notions de technique vocale, l’ouverture de la bouche fait l’objet de recommandations très différentes dans les classes de chant et les répétitions de choeur.

Pourquoi ouvrir la bouche ?

L’ouverture de la bouche a 2 motivations :

  • Permettre une détente et un raccourcissement des muscles qui relient la mâchoire inférieure au larynx (notamment les sus-hyoïdiens qui relient la mâchoire à l’os hyoïde, lui-même lié au larynx), afin d’accroître la mobilité et la liberté du larynx (ce qui, vous l’aurez compris à la lecture du titre de ce blog, est une composante essentielle d’une technique vocale saine et efficace)
  • Ouvrir la fin du conduit sonore (en conjonction avec une ouverture du pharynx et de l’isthme du gosier) pour lui permettre d’agir en résonateur, afin d’enrichir la voix et de lui permettre de porter plus loin

A quel point ouvrir la bouche ?

J’ai entendu des choses très différentes sur ce sujet : il faut pouvoir mettre 2 doigts entre les dents, voire 3 doigts ; certaines personnes vont jusqu’à assouplir les muscles de la mâchoire en y plaçant un bouchon… au risque de déclencher une réaction inverse de crispation desdits muscles.

La recommandation de Cécile Fournier, dans son excellent ouvrage « La voix, un art et un métier » (malheureusement épuisé mais trouvable d’occasion en ligne), me paraît saine : dans le bas et le milieu de la tessiture, un écartement vertical limité suffit (dans mon cas, je peux insérer la largeur d’un doigt entre les deux rangées de dents). Il sera nécessaire de recourir à une ouverture verticale plus marquée dans l’aigu de la tessiture (ainsi que dans l’extrême grave) ; l’extrême aigu, notamment pour les voix de soprane, pourra nécessiter en outre l’ouverture des lèvres en largeur. Nathalie Dessay nous offre un exemple fascinant dans son interprétation de l’Air des clochettes (Lakhmé, de Delibes), particulièrement marqué à 1:21.

Comment ouvrir la bouche ?

N’ayons pas peur de marcher ici sur les traces du maître de philosophie de M. Jourdain, expert en évidences : l’ouverture verticale de la bouche se fait en relâchant partiellement ou totalement les muscles qui soutiennent la mâchoire inférieure et en laissant la gravité faire tomber cette dernière (ce qui n’est pas nécessairement aisé, dans la mesure où ces muscles sont mobilisés en permanence dans la vie courante pour maintenir la bouche fermée). On pourra au besoin accentuer cette ouverture, mais on évitera une ouverture forcée ou crispée, qui pourrait engendrer une crispation d’autres muscles voisins liés au larynx et gêner sa liberté de mouvement.

L’ouverture horizontale de la bouche dépend, elle, de la voyelle à chanter ; dans tous les cas, l’écartement des commissures des lèvres ne dépassera pas celui de leur position relâchée (qui est aussi l’écartement de la voyelle A). Je donnerai davantage d’indications dans un article à venir sur les voyelles.